Moi, Fadi le frère volé - Riad Sattouf (2024)
- 18 nov. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 nov. 2024

Riad Sattouf évoque souvent sa volonté de « faire des BD pour les gens qui n’en lisent pas ». Il a visiblement réussi ce pari puisqu’il est devenu un véritable phénomène de librairie (3,5 millions d’exemplaires vendus de L’Arabe du futur, 2 millions pour les Cahiers d’Esther) que seul l’inamovible Astérix arrive encore à surpasser. Si vous n’avez pas encore succombé, il est plus que temps de vous pencher sur l’œuvre du Grand Prix 2023 du festival international de la bande dessinée d’Angoulême.
Pour cette fin d’année, j’attendais avec impatience la suite de Le jeune acteur qui retrace les premiers pas dans le cinéma de son acteur principal des Beaux gosses (écrit et réalisé par R.S.), Vincent Lacoste. Raté !
Riad Sattouf revient bien mais avec le premier de trois tomes racontant l’histoire familiale, toujours à hauteur d’enfant, mais cette fois-ci du point de vue de Fadi, le plus jeune de la fratrie, enlevé par son père et conduit en Syrie.
Cette série de livres a mis du temps à voir le jour. L’auteur nous a livré dans un premier temps sa vision de l’histoire familiale, l’Arabe du futur (6 tomes), avant de pouvoir nous offrir l’histoire manquante, celle de Fadi, reconstruite à partir d’entretiens réalisés en 2011 et 2012 avec son frère.
"C'était un défi. L'histoire de mon frère est quelque chose d'inracontable, d'irracontable", Riad Sattouf
Loin d’être une redite de l’Arabe du futur, ce premier tome de Moi, Fadi… (éditions Les Livres du futur) nous offre un nouveau volet de l’histoire familiale.
L’histoire débute en Bretagne où Clémentine, la mère, coule des jours heureux avec ses trois fils. Elle s’est séparée de son mari. La précarité de la vie au Moyen-Orient, les mensonges et la radicalisation du père ont eu raison du couple.
Dans le souvenir de Fadi, cette période semble être une parenthèse enchantée où tout n’est que douceur et amour entre sa mère et lui. Même s’il les admire, Riad et Yahya, ses grands frères, passent quant à eux leur temps à l’ignorer ou à lui faire de mauvaises blagues.
Fadi voit un jour son père revenir à la maison. Visiblement personne ne s’y attendait. Si Clémentine a clairement tourné la page et demande le divorce, elle l’accepte malgré tout chez elle. Pour les enfants. Après une énième dispute, comprenant que sa famille ne le suivra pas, le père emmène Fadi, quatre ans, loin des siens. En Syrie. Les retrouvailles n’auront lieu que vingt ans plus tard…
Là où l’Arabe du futur racontait cet évènement traumatisant en évoquant la tristesse de la mère, le désarroi des grands-parents et les démarches administratives, l’histoire racontée dans Moi, Fadi… est celle du déracinement d’un très jeune enfant, arraché aux bras aimants de sa mère par un père menteur et manipulateur. Fadi passe ses premières journées à pleurer et à réclamer sa mère. Il est tout d’abord effrayé par la famille qu’il y découvre ; ce sont tous des inconnus parlant une langue qu’il ne comprend pas. Sa chambre est peuplée de monstres la nuit venue. On voit que l’enfant s’acclimate petit à petit à son nouvel environnement et on ne doute pas qu’il arrivera à s’intégrer mais il faut avouer que ce premier tome est particulièrement déchirant et retranscrit bien la peur de ce petit garçon.
La figure du père, qui n’était déjà pas particulièrement reluisante, devient plus inquiétante encore que dans l’Arabe du futur. S’il kidnappe son fils, ce n’est pas par amour pour lui mais pour forcer le reste de sa famille à le rejoindre en Syrie, pays dont son épouse ne veut plus entendre parler après une première expérience éprouvante. Peu intéressé par le bien être de son fils, il lui fait des cadeaux (dont une game boy, probablement payée avec de l’argent volé, qui sera vite utilisée comme bakchich), mais c’est avant tout pour faire taire les pleurs de l’enfant qui l'horripile. Transparaît aussi l’inquiétante radicalisation religieuse et politique du père qui ne manque jamais d’exprimer son admiration pour le leader du régime autoritaire syrien :
"Regarde ce bel homme fier! C'y le Syrien li plis intelligent di monde ! Hafez Al-Assad ! Li prisident ! Ti crois qu'il pleurniche pour sa maman lui ? C'y un homme il pleure pas !"
On a entendu mieux comme discours pour soulager la peine d’un enfant !
Comme toujours avec Riad Sattouf, la rudesse du propos est contrebalancée par la douceur des dessins et l'humour. Le trait de crayon est simple, reconnaissable entre mille, mais diablement efficace et expressif. Le récit permet, avec des mots simples d’enfant, sous couvert de naïveté, de mettre en exergue les contradictions et l’hypocrisie des adultes. L’utilisation des couleurs sert quant à elle à accentuer les sentiments de Fadi. Le début du récit est marqué par un jaune lumineux, enveloppant et joyeux (à l'image de la chevelure blonde de la mère ?). Il laisse place à un orange lourd à l’arrivée en Syrie et se mue en vert pour traduire le mal-être de Fadi.
A l’issue d’une séquence onirique durant laquelle le jeune Fadi cherche des œufs de Pâques et se perd, il dit : « Je suis perdu pour toujours. Alors je marche encore… »
Lorsqu’on referme la BD, on espère que Fadi a retrouvé le chemin de la maison et cessé d’errer entre deux cultures. Seuls les prochains tomes pourront nous le dire. On a hâte !
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