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  • Tous les silences ne font pas le même bruit - Baptiste Beaulieu (2024)

    Un livre qui devrait faire du bruit ! A travers ce très joli livre, l'auteur se raconte. Ou plutôt il raconte ce que c'est que d'être homosexuel aujourd'hui en France. A huit ans, il découvre, sous les rires de sa famille, un film à succès se moquant d'un couple homosexuel à la télévision. A l'adolescence, il découvre l'homophobie quotidienne, rythmé par les insultes, et envisage la mort comme une délivrance. Jeune homme, il craint de donner la main en public à celui qu'il aime et se questionne sur la parentalité. Comment se construire quand toute la société ou presque nous fait sentir que l'on est anormal, voire même que l'on ne mérite pas de vivre ? Parce qu’il est temps que la honte change de camp et d’inverser les points de vue : ce n’est pas parce qu’un enfant est homosexuel qu’il est viré de chez lui, c’est parce qu’il a des parents homophobes. Au-delà de son cas personnel, l'auteur nous décrit de nombreuses situations auxquelles il a été confrontées dans son quotidien de médecin généraliste et nous délivre quelques leçons d'histoire. Des combats sociaux gagnés comme le mariage pour tous à ceux qu'il reste à mener, Baptiste Beaulieu explique avec beaucoup de pédagogie ce que cela fait de vivre dans une minorité, d'endurer le poids de l'hétéronormativité, la violence physique et verbale des homophobes mais aussi les remarques faussement gentilles de gens bien intentionnés. Comme il l'écrit si bien "le privilège hétérosexuel est de ne pas penser sa sexualité, de la considérer comme allant de soi". L'homosexuel y est, lui, sans cesse renvoyé. Il faudrait être bien insensible pour ne pas s'émouvoir face aux humiliations et injustices (nombreuses) racontées dans ce livre. Il faudrait être inhumain pour ne pas reconnaître à chacun le droit d'être, paisiblement, ce qu'il est. Malgré la dureté du texte, beaucoup de lumière transparaît, notamment lorsqu'il évoque sa paternité. Au milieu de la fange, les plus belles fleurs peuvent parfois éclore... Plus qu'une simple lecture, il s'agit d'une vraie immersion (éreintante) qu'il est difficile de raconter. Un livre bouleversant et universel, qui n'attirera probablement pas le "phobes", mais fera en tout cas réfléchir et se remettre en question ceux qui l'ouvriront. Merci Monsieur Beaulieu !

  • QI - Christina Dalcher (2021)

    Une réalité pas si lointaine ? Avec QI ( Master Class en VO) , dystopie glaçante et très crédible, Christina Dalcher se pose en digne héritière de Margaret Atwood (je vous invite d'ailleurs à découvrir son œuvre qui va bien au-delà de la Servante écarlate, notamment le fantastique Le dernier homme ). Dans un monde qui ressemble beaucoup au nôtre, le potentiel de chaque enfant est régulièrement calculé selon une mesure standardisée : le quotient Q. Si vous obtenez un score élevé, vous pourrez fréquenter une école d'élite avec à la clé un avenir en or. Si votre score est trop bas, ce sera un internat fédéral, loin de votre famille, n'offrant que des débouchés très limités. Le but ? Une meilleure société où les enseignants se concentrent sur les élèves les plus prometteurs. Elena Fairchild, enseignante dans un établissement d'élite, a toujours soutenu ce système dont son mari est un des instigateurs. Mais lorsque sa fille de neuf ans rate un test et part pour une école au rabais à des centaines de kilomètres, le doute s'insinue en elle. Ce système est-il réellement juste ? Cet éloignement est bon pour qui ? Sa fille, sa famille ? Certainement pas. La seule chose dont Elena soit certaine, c'est qu'elle doit récupérer sa fille à tout prix. Pour cela, elle devra lutter contre un système puissant qui écrase ceux qui ne sont pas dans la norme. Tout parent qui lira ce livre n'aura aucun mal à se mettre dans la peau d'Elena qui, du jour au lendemain, voit sa fille obligée de partir seule vers un internat à l'autre bout du pays. Le déchirement causé par cette perte va la pousser à s'interroger sur le système qu'elle avait fait sien jusque là. La classe dominante agit tout au long du roman de manière particulièrement infâme (violence moral, physique et sexuelle). A cet égard, le personnage du mari d'Elena à lui seul montre à quoi sont prêts les gens qui sont au sommet pour ne pas être déclassés. La société qui est dépeinte est particulièrement horrible et cynique : aveuglement de la population face aux disparitions soudaines d'enfants, sélection des foetus pour obtenir un enfant "parfait", omnirésence télévisuelle des gourous du mouvement...Ce roman nous donne clairement à voir ce que le monde pourrait être si une caste élitiste prenait le contrôle de la société. Et ce n'est pas joli, joli. Alors que les inégalités sociales sont de plus en plus stigmatisantes dans notre société, QI pose des questions essentielles sur notre vision de celle-ci. Chacun a t-il sa place ou, pour construire une grande nation, faut-il laisser derrière nous ceux qui n'entrent pas dans le moule formaté que nous avons construit ? Pour moi, la réponse est évidente mais ce n'est pas le cas pour tous, sinon la planète irait beaucoup mieux. Mon seul regret est que le parallèle avec les mouvements eugénistes qu'ont connu les Etats-Unis ne soit pas davantage exploré. Le sujet l'aurait sans doute mérité mais QI reste un excellent roman à mettre entre toutes les mains. A vos marque-pages, prêts, lisez !

  • Tsunami - Marc Dugain (2023)

    Ma route littéraire n'avait jusqu'à maintenant pas croisé celle de Marc Dugain. L'auteur est pourtant loin d'être un novice. Il débute l'écriture en 1992 avec un roman qui devient vite un succès de librairie, remporte de nombreux prix et bénéficie d'une adaptation cinématographique, la chambre des officiers. Il était donc plus que temps que je lui fasse une petite place dans ma bibliothèque. C'est sur Tsunami que mon attention s'est portée et c'est donc par ce roman que je fais connaissance avec l'auteur (nul doute qu'il y aura d'autres rencontres). Tsunami de Marc Dugain (Le Livre de poche) Tsunami est une remarquable fable politique, très ancrée dans notre époque que je vous invite à lire de toutre urgence. Ça parle de quoi? Le narrateur a fait fortune en co-créant une start-up de la biotech qui prône le rajeunissement par la génétique cellulaire. Ses riches partenaires des GAFAM le soutiennent quand il lui prend l'envie de s'engager en politique. Même si sa femme, journaliste, voit cela d'un mauvais œil et estime qu'il n'a pas l'étoffe du poste, notre héros devient Président d'une France en crise, au bord de la révolte. Les mesures environnementales ambitieuses qu'il souhaite imposer menacent un peu plus l'équilibre fragile du pays. Et comme la présidence est loin d'être un long fleuve tranquille, s'ajoutent la menace de révélations embarrassantes sur sa vie personnelle et une crise diplomatique avec un Poutine plus glaçant que nature. Comment notre Président fraîchement élu va t-il gérer cela ? Sera t-il à la hauteur ou conduira t-il le pays vers l'implosion ? J'ai le réflexe immédiat du mensonge, c'est rassurant : je commence à prendre la mesure de la fonction. Ce livre est un véritable tour de force. Les enjeux nationaux et internationaux sont parfaitement décrits et retranscrits, de même que le poids des réseaux sociaux sur la vie politique et l'opinion. Les crises rencontrées font écho à des crises passées ou à venir. Le tout est fait avec beaucoup d'humour et de roublardise. La politique y apparaît comme une partie d'échecs où il faut sans cesse œuvrer pour avoir plusieurs coups d'avance sur l'adversaire. Le tableau dépeint est à la fois réjouissant et terriblement effrayant de cynisme et de violence. Le rôle des communicants est particulièrement bien décrit. Au cœur des situations de crise, leur calme froid et leurs solutions à la moralité toute relative parachèvent un portrait sans complaisance du politique. Loin d'être un roman simplement à charge contre le pouvoir, Tsunami évoque aussi la solitude liée au pouvoir, le fragile équilibre des relations diplomatiques ou les décisions difficiles à prendre (autoriser ou non le meurtre d'un individu dangereux pour la nation par exemple.) Quelques passages sont particulièrement réussis : la rencontre avec un psychiatre philosophe à qui il demande quel est l'état mental de la France (beau moment empreint de poésie et de réalisme) et le face à face avec Poutine, dont on peut imaginer, au regard des événements récents, qu'il a bien eu lieu dans la réalité, mais avec le Président des États-Unis... J'ai la faiblesse de croire en l'humanisme. Or la tyrannie a de plus beaux jours devant elle, plus que je ne le pensais. Elle pourrait devenir un jour l'ordre du monde si on continue à gâcher nos valeurs par un consumérisme frénétique. Tsunami a tout pour lui. Ce roman au rythme effréné, est drôle, fait réfléchir sur notre monde et évoque des sujets comme la solitude et l'ivresse du pouvoir, la nécessité de protéger notre environnement, la rupture entre le peuple et les politiciens ou encore le poids considérable des GAFAM sur la société. Très court (230 pages), le roman se lit d'une traite. La réalité ne doit pas être si loin du récit de Marc Dugain. Je pense même qu'il doit être en dessous de la réalité, ce qui n'est pas rassurant. Marc Dugain et Tsunami, je vote pour sans la moindre hésitation !

  • Célèbre - Maud Ventura (2024)

    Célèbre de Maud Ventura (éd. L'iconoclaste) Après avoir obtenu le Prix du premier roman en 2021 pour Mon mari , Maud Ventura était attendue au tournant pour son second roman, Célèbre . Certains ont été déçus, d'autres ont adoré. Pour ma part, malgré quelques faiblesses, j'ai beaucoup aimé ce roman que j'ai dévoré en peu de temps. L'(anti-)héroïne, Cléo Louvent, grandit dans une famille dont elle déplore la banalité et n'a qu'une obsession : devenir célèbre. Elle se rêve une carrière internationale de chanteuse. Ou plutôt, Cléo ne rêve pas. Elle a bien les pieds sur terre. Et va tout faire pour devenir la meilleure version d'elle-même : écrire ses textes, poster ses chansons sur internet, faire du sport pour avoir un corps de déesse, s'embellir par tous les moyens possibles, se débarrasser des obstacles sur son chemin... Cléo le sait, le succès n'arrive pas sans raison : il faut travailler dur et saisir, voire provoquer sa chance quand elle se présente. En pur produit de notre société égocentrée, elle est le centre de son monde et, du moins le pense-t-elle, du monde. Il est beaucoup question du syndrome de l’imposteur. Vivre avec l’impression de ne pas mériter ses réussites, d’avoir eu de la chance, d’être passé entre les gouttes, de voler la place de quelqu’un de plus compétent. De mon côté, je dois affronter l’angoisse inverse et inavouable : je pense que j’ai un talent fou et je me demande quand le monde entier finira par s’en rendre compte. Pour moi, l’injustice suprême serait que mon génie passe inaperçu. Je suis exceptionnelle, mais je crains que jamais il ne me soit permis d’en faire la brillante démonstration. Soyons clair, Cléo est détestable. Elle est un bulldozer qui écrase tout (famille, amis et petits copains compris) pour arriver à ses fins. Maud Ventura essaye bien de lui apporter quelques fêlures, notamment avec le fait que l'héroïne se scarifie quand elle est en situation d'échec. Las, rien n'y fait. Si sa détermination est fascinante, Cléo est monstrueuse, égoïste, odieuse avec son entourage pourtant aux petits soins pour elle. Elle s'en rend bien compte mais elle s'en fiche. Elle s'en moque même tellement qu'elle va commettre (sans grand remord) un acte irréparable. Et nous, lecteurs, nous n'attendons qu'une chose : sa chute. Car on sait qu'elle sera aussi vertigineuse et violente que son ascension... La célébrité est ma vie. Celle que je savais que j'aurais, celle que j'ai fait en sorte d'avoir. Est-ce que j'étais préparée à un tel succès ? Bien sûr que oui. J'ai toujours considéré que ce qui m'attendait n'était pas une existence mais un destin. Ma route serait exceptionnelle, ma trajectoire hors du commun. Le livre est très bien écrit et se lit facilement. Pour moi, ça a été un vrai "page turner", je voulais savoir comment ça allait finir parce que ça ne pouvais que très mal se finir (c'est mon côté sadique). L'ascension de Cléo est je trouve la partie la plus intéressante. On y découvre tout son entourage professionnel (producteurs, assistants...), le processus créatif, la vie en tournée et l'entrée dans le grand monde. On s'y croirait presque. Malheureusement, Cléo, qui est aussi la narratrice de ce roman, s'épanche très (trop!) longuement sur les sacrifices qu'elle a fait, son génie créateur (même si elle doute pendant deux minutes), ses atermoiements de petite fille trop gâtée. En bref, elle se regarde beaucoup trop le nombril et se répète. Ces passages lassent un peu au bout d'un moment. Il est aussi dommage que l'auteure choisisse la facilité avec des lieux communs comme celui-ci : "Je viens de chanter devant 5 000 spectateurs mais je n'ai personne avec qui discuter avant d'aller me coucher. Et pendant ma tournée, mes salles de concert pleines à craquer d'amour ne m'empêcheront jamais de m'endormir en pleurant toute seule dans mon lit." Vu que Cléo n'aime rien ni personne, on la voit mal pleurer dans sa chambre d'hôtel. Sa solitude elle la veut (personne n'est à son niveau), la recherche et se l'impose, jusqu'à s'isoler sur une île déserte, alors... Reste un roman cruel et incisif sur la célébrité et l'égocentrisme que je vous recommande chaudement. Et le twist final (si vous ne l'avez pas vu venir), va vous rendre dingue !

  • La désinvolture est une bien belle chose - Philippe Jaenada (2024)

    La désinvolture est une bien belle chose (éd. Mialet Barrault) - Désinvolture : Qui manifeste une liberté excessive; sans gêne. La désinvolture est une bien belle chose est le dernier roman de Philippe Jaenada. Auréolé de plusieurs succès mérités, dont La serpe (fantastique), La petite Femelle (il faut que je le lise celui-là) ou encore Au printemps des monstres (fabuleux aussi), l'auteur nous propose cette fois encore une enquête, très fouillée, passionnée et passionnante. Il se lance cette fois sur les traces de Jacqueline Harispe, surnommée Kaky, une jeune femme libre (d'où la désinvolture du titre) du Paris des années cinquante, qui trouva la mort à vingt ans en chutant (volontairement ou non, nous ne saurons jamais) d'une fenêtre. "Pourquoi un matin d'automne, une si jolie femme, intelligente et libre, entourée d'amis, une fille que la vie semblait amuser, amoureuse d'un beau soldat américain qui l'aimait aussi, s'est-elle jetée à l'aube par la fenêtre d'une chambre d'hôtel, à vingt ans ? J'aimerais savoir, comprendre." Disons-le tout de suite, le style Jaenada ne plaît pas à tout le monde. Pour certains, l'auteur est foutraque, il se perd dans les détails les plus obscures (on connaîtra tout des personnages de leur date de naissance au travail de leurs parents en passant par leurs adresses successives) et digresse énormément (faire une parenthèse ne lui suffit pas, il en ouvre deux ou trois très facilement). J'entends ces reproches (pas totalement infondés, reconnaissons-le ! désolée Philippe) mais moi, quand je le lis, je l'envie surtout beaucoup. Si j'étais écrivain, ce serait sans aucun doute vers ce style que j'irai le plus; plein d'apartés et d'anecdotes, de vie et de vérité (les goûts et les couleurs...). Bon. En gros, on adhère ou pas. Vous vous en rendrez vite compte en lisant. Revenons-en à l'histoire. Pourquoi Kaky, séduisante jeune femme de vingt ans, s'est-elle suicidée au petit matin, en 1953. Les investigations de l'auteur et de sa cohorte de sources (auteurs, chercheurs, bibliothécaires...) vont faire surgir de ce fait divers en apparence peu intéressant de nombreuses histoires passionnantes. Le lecteur est immergé dans le Paris d'après-guerre aux côtés d'une joyeuse bande surnommée "les moineaux" parce que son repère de débauche est un petit bistro miteux du nom de "chez Moineau" à Saint-Germain-des-Prés. Dans cette bande, on retrouve des jeunes en marge de la société : des délinquants, des filles trop dévergondées pour l'époque, des anarchistes, Guy Debord... Une jeunesse désabusée, rejetée par sa famille et la société en quête de liberté, d'amusement et de jouissance. Jaenada s'attache à nous raconter l'histoire personnelle de tous ces enfants perdus mais aussi de leurs parents (car comment les comprendre si on ne sait pas d'où ils viennent?). Par ce biais, j'avoue avoir découvert plein de choses : la Cagoule, le situationnisme, l'internationale lettriste, Guy Debord. c'est très intéressant bien qu'assez dense quand, comme moi, on ne s'est jamais trop penché sur ces sujets. J'ai du faire mes devoirs et, comme l'auteur pour ce roman, quelques recherches pour bien comprendre (le roman se suffit à lui-même mais quand un sujet m'intéresse, j'aime bien en savoir plus). Parmi, les Moineaux, ce sont les portraits des filles qui m'ont le plus émue. Le sort réservé à ces jeunes filles, dont le seule crime est de ne pas avoir céder devant la société qui veut les marier, les renvoyer à la maison, les purifier, est terrible. Pas d'études pour elles même si elles sont brillantes, pas de liberté, pas d'avenir qui se profile. Les filles de la bande sont, aux yeux de la société, "des filles perdues", débauchées. Régulièrement arrêtées, elles sont envoyées dans des foyers destinés à les dresser et à leur faire entendre raison : les grandes études, la liberté sexuelle, la liberté tout court, c'est pour les hommes, pas pour elles. Les rapports dressés par le personnel de ces foyers sur Kaky et ses copines sont glaçants. En les lisant, j'ai eu une pensée émue pour toutes ces femmes, brisées par la société patriarcale de l'époque. Nos mères, nos grands-mères. Je n’attache de l’importance à rien, je laisse venir la vie, je suis mes désirs, mes impulsions, je ne me force jamais. Il paraît que je suis égoïste. Je ne vis que pour le présent. Le futur, nous y penserons quand il sera présent.  En parallèle de l'enquête, nous suivons les pérégrinations de l'auteur qui se lance dans un tour de France par les bords (non mais quelle idée !), guidé par les -pas toujours- bons conseils de Gladys, son GPS. Ce voyage sera pour lui l'occasion de découvrir des hôtels (plus ou moins miteux), des grandes roues (pas toujours accueillantes) et surtout des bars (parce qu'il faut bien s'hydrater) et pour nous de découvrir quelques anecdotes sur sa vie avec Anne-Catherine, ses humiliations passées ou son addiction à la cigarette. Les deux récits s'imbriquent à merveille et, même si cela n'en a pas l'air de prime abord, se répondent. Là où Kaky et ses amis sont jeunes, libres, ont l'avenir devant eux, Philippe Jaenanda lui est sans cesse ramené à son âge (soixante ans c'est pourtant jeune), au temps qui passe, inexorable. Le temps a eu raison de sa désinvolture. Ça s'appelle l'âge adulte. Grandir, avoir des responsabilités, faire des choix, être raisonnable. Kaky, elle, restera à jamais jeune, libre et désinvolte.

  • Chats sur ordonnance - Syou Ishida (2024)

    Un livre kawaï (mignon) à souhait ! Dans la famille "petits livres mignons, aussitôt lus aussitôt oubliés, mais qui font quand même du bien", je demande Chats sur ordonnance de Syou Ishida. Au cœur de Kyoto, il existe une clinique psychologique un peu magique, dont l'adresse ne se transmet que par le bouche à oreille. La clinique Nakagyo, nichée au fond d'une ruelle, dans un bâtiment vétuste, n'apparaît en effet qu'aux personnes qui veulent vraiment la trouver. Son personnel, le peu concerné docteur Nike et la revêche infirmière Chitose, accueille les clients à tout moment, même sans rendez-vous. Les patients connaissent tous des difficultés dans leur vie et recherchent le bonheur : un jeune homme harcelé au travail se questionne sur son avenir, un homme obsédé par sa haine d'une collègue qui s'éloigne petit à petit de sa femme et sa fille, une créatrice de mode perfectionniste qui ne pense qu'au travail, une mère et sa fille qui n'arrivent plus à communiquer. Pour régler leurs soucis, le docteur Nike va leur prescrire un chat pendant quelques semaines. Les petites boules de poil ont des caractères bien trempés et les traitement prescrits, au-delà des simples ronrons, vont souvent prendre des formes inattendues. Ils offrent de très bons résultats. Depuis fort longtemps on considère les chats comme la meilleure des médecines. La panacée. En d’autres termes, ils sont plus efficaces que bien des médicaments que l’on prescrit. Le roman est construit en chapitres, chacun étant dédié à un des clients. Il s'agit donc plus de nouvelles que d'un véritable roman. Chaque histoire peut se lire indépendamment des autres, le lien étant fait par la clinique et son personnel. Le dernier chapitre vient quant à lui éclaircir la vraie nature (surnaturelle !) de la clinique. Le propos reste très ancré dans la culture japonaise. Propre et sage en somme. Tout d'abord, les problèmes sociétaux ne sont pas évoqués de manière frontale. S'ils ont le mérite d'être soulevés, il n'y a pas d'analyse ou de réel point de vue. Dans la première histoire par exemple, la violence du monde de l'entreprise n'est que survolée, l'auteure préférant s’appesantir sur les bêtises du chat. Dommage, cela aurait pu être plus incisif. D'autre part, ce qui est toujours assez drôle avec beaucoup d'écrits japonais, c'est la manière dont les personnages s'énervent, tout en retenue (quelqu'un a bout ira jusqu'à un Zut tout au plus), et s'expriment (c'est assez mièvre, on se croirait parfois dans une mauvaise sitcom familiale des années 80). Le roman se lit très facilement. Je regrette sa construction (un client=un chapitre) qui limite le développement des personnages et conduit l'auteure à résoudre leur problématiques très (trop) rapidement, en usant de facilités (tout ceci est cousu de fil blanc, que cela soit dit!). Je n'ai malgré tout pas boudé mon plaisir avec ce livre feel good empreint de naïveté qui, sans être un indispensable, se révèle drôle et réconfortant. Parfois la vie place sur notre chemin des individus, un chat ou un être humain, irremplaçable pour nous. On les aime pour toujours. Même s'ils nous quittent... En bref, si vous cherchez de la légèreté, des bons sentiments, des petits chats mignons, une lecture zen, Chats sur ordonnance est fait pour vous. Si vous cherchez de la profondeur et de l'action, passez votre chemin !

  • Le médecin de Cape Town - E. J. Levy (2021)

    Un roman épique et instructif, le bonheur ! Après un recueil de nouvelles récompensé par de nombreux prix aux États-Unis, E. J. Levy réalise pour son premier roman un véritable coup de maître. L'autrice s'est inspirée de la vie du Dr James Miranda Barry, chirurgien militaire de l'armée britannique, qui a marqué l'histoire de la médecine. Il s'illustre notamment en devenant le premier chirurgien britannique à pratiquer une césarienne en Afrique, sans mener à la mort ni de l'enfant ni la mère. Barry a exigé que, « en cas de décès, des précautions strictes devraient être prises pour empêcher tout examen de sa personne » et que son corps devrait être « enterré dans les draps sans autre inspection ». Cette volonté ne fut pas respectée, et l'on découvrit alors que le grand Dr Barry était en réalité une femme, née Margaret Anne Bulkley. L'armée préféra ne pas ébruiter l'affaire. Son dossier fut mis sous scellés jusqu'en 1950, et les honneurs militaires lui furent refusés. On sait finalement peu de choses de la vie du Dr Barry, notamment avant qu'il ne devienne un homme. Dans le médecin de Cape Town, E. J. Levy comble donc avec brio les blancs dans l'histoire pour nous livrer un récit épique, tout à la fois amer et enflammé, vibrant de sentiments exaltés par les couleurs de l'Afrique du Sud. Le roman débute avec le portrait d'une petite fille à l'esprit brillant, Margaret. Sa famille ruinée, les perspectives d'avenir deviennent très sombres pour elle. Elle quitte l'Irlande avec sa mère pour s'installer à Londres. Très tôt, elle se passionne pour les sciences et l'anatomie, ce qui suscite l'intérêt d'un riche mentor qui va la prendre sous son aile et inventer une folle supercherie. Au XIXe siècle, la médecine, comme tant d'autres domaines est réservée aux hommes. Margaret va donc devenir Jonathan Perry pour pouvoir étudier et devenir médecin. "Jamais ceux qui croisèrent Margaret Brackley dans sa petite enfance n’auraient pu se douter qu’elle était destinée à devenir une héroïne. (…) Elle souffrait du pire défaut imaginable à la fin du XVIIIe siècle comme en d’autres temps : elle était née fille. " Dès lors Margaret n'existe plus. Jonathan doit apprendre à bouger, agir, penser et parler comme homme pour se fondre dans la masse. Pour dissimuler sa vraie nature, le docteur Perry doit mentir tout le temps et à tous. Sa poitrine est bandée, ses cheveux coupés, ses règles soigneusement dissimulées, ses prétendantes écartées... Cette vie de dissimulation ne lui pèse que très peu car elle est la contrepartie d'un travail qui le passionne et où il excelle. Au Cap, il se créé une vie confortable et devient une figure incontournable de la région. Tout cela va cependant être menacé. Le docteur Perry tombe amoureux du charismatique et ombrageux gouverneur, lord Charles Somerton. Une liaison passionnée et secrète débute entre les deux. Cette histoire va être fragilisée par un scandale : des rumeurs d'homosexualité (illégale à l'époque) vont voir le jour et lord Somerton, jeune veuf, doit rapidement retrouver une épouse pour sauver les apparences...Coincé entre son amour pour Charles et son métier, le docteur Perry refusera t'elle d'abandonner sa vocation pour devenir une simple épouse ? Le Médecin de Cape Town retrace, de manière libre, la vie extraordinaire d'une figure féminine historique méconnue. Entre scandales, sacrifices et secrets, la vie de l'héroïne méritait le grand roman que nous offre E. J. Levy. L'auteure nous immerge avec talent dans les réflexions et déchirements qui ont dues êtres celles de Margaret. On se met totalement à sa place. Les personnages sont globalement décrits de manière assez subtile et réaliste, ce qui rend leurs actions crédibles. Sans temps mort, Le médecin de Cape Town se lit d'une traite. Il s'agit à la fois un roman d'aventure, d'un récit d'indépendance, mais aussi d'une superbe histoire d'amour. Le tout est porté par de magnifiques descriptions de l'Afrique, de sa végétation luxuriante et de sa lumière. Un roman coup de coeur à rapidement intégrer dans votre bibliothèque. A vos marque-pages, prêts, lisez !

  • Le passeur de livres - Carsten Henn (2022)

    Quand votre livreur vous apporte le dernier Patricia Mac Donald à la maison... Pour son premier roman, le critique gastronomique et auteur allemand Carsten Henn met en avant son amour de la littérature au travers de personnages tout à la fois émouvants et drôles. Le livre est un best-seller en Allemagne et a été traduit dans une vingtaine de langues. Carl, soixante-dix ans au compteur, travaille depuis toujours à la librairie La Porte de la ville. Transmettre sa passion pour la littérature, tel est son unique bonheur dans la vie. Lorsque son patron, modèle et ami Gustav cède la librairie à sa fille, Carl perd plus qu'un employeur et sent qu'il n'est plus le bienvenu, que sa façon de travailler est dépassée. Une mission l'aide à tenir le coup. Chaque soir, Carl arpente les rues pittoresques de sa ville pour livrer en main propre les livres commandés par ses fidèles clients. Durant sa tournée, il croise toujours avec plaisir Chien (un chat errant qui aboie!), qui semble être son seul ami. Lecteur avisé, Carl note leur ressemblance avec des personnages de la littérature et leur attribue ainsi un petit surnom affectueux, comme M. Darcy ou Mme Brindacier. Lui qui est très seul, magnifie un peu son quotidien de cette manière. "Ce sont les noms que je leur donne. Des noms qui leur conviennent le mieux. Les gens qui aiment lire méritent de porter le nom d'un personnage de roman." Une petite fille de neuf ans prénommée Schascha déboule un beau jour dans la vie de Carl, peu habitué à changer sa routine. Espiègle et très maline, elle impose sa présence lors de la tournée de Carl tout en analysant subtilement (pour une enfant de cet âge) les personnalités de ceux qui l'entourent. Schascha se donne alors pour mission de ramener le bonheur dans leurs vies cabossées mais tout ne va pas se passer comme prévu... La clientèle de Carl nous offre une belle diversité de personnages. Tous ont en commun d'avoir des secrets et des blessures profondes qui les isolent du monde. Les violences conjugales et l'illettrisme sont ainsi abordés de manière certes simple mais plutôt délicate. Grâce à la magie d'une fillette, toutes ces âmes solitaires vont se rencontrer, s'entraider et s'aider à affronter les difficultés. Leur amitié pour Carl les rassemblera pour un grand final plein de bienveillance et de tendresse. "On dit que les livres trouvent leurs lecteurs, mais ils ont parfois besoin que quelqu'un leur montre le chemin." Une jolie petite histoire (presque un conte) à classer dans la désormais longue liste des romans feel good. Pleine de bons sentiments et dotée d'une intrigue cousue de fil blanc, l'histoire est souvent très naïve. Même si on sait que tout sera vite oublié, la lecture se fait malgré tout avec plaisir. Un livre idéal pour remettre les compteurs à zéros après avoir lu une histoire éprouvante et pouvoir se replonger dans une nouvelle aventure, plus exigeante. Alors tenté.e ?

  • Sa préférée - Sarah Jollien-Fardel (2022)

    Sa préférée, un roman à mettre sous le sapin ? Lauréat du Prix du roman FNAC 2022, Sa préférée est un premier roman emprunt de colère sourde. Il raconte l'histoire de Jeanne, une petite fille qui apprend très tôt à esquiver la brutalité, tant physique que morale, de son père. Tandis que sa mère et sa sœur semblent se résigner, Jeanne, elle, refuse de se soumettre. Un jour, battue pour une broutille, elle raconte tout au médecin du village qu'elle idolâtre. La réaction de l'homme n'est pas celle qu'elle espérait. Face à la lâcheté et au silence complice des voisins, amis et membres de la famille, Jeanne se replie dans sa haine et parvient à quitter la région pour suivre des études. Ses douloureux souvenirs se rappelleront violemment à elle avec le décès de sa sœur puis de sa mère. "Moi, je vivais sur mes gardes, je n'étais jamais tranquille, j'avais la trouille collée au corps en permanence." On pourrait penser que l'autrice évoque par ce roman une expérience personnelle mais il n'en est rien. Comme l'héroïne, elle est née dans les années 70 et vit en Suisse, dans les montagnes du Valais. Le parallèle s’arrête là. Si elle connaît très bien le sujet des violences faites aux femmes, c'est qu'elle est bénévole dans une association venant en aide aux femmes battues. Les faits de violence sont peu décrits bien que très choquants; sans doute parce que, pour Jeanne, ils font partie du quotidien et méritent peu qu'on s'y attardent. Sans doute aussi, bien sûr, parce que la jeune femme est profondément traumatisée et souhaiterai passer à autre chose. S'inscrivant résolument dans l'ère post-Metoo, l'autrice s'intéresse à la violence exercée au sein d'une cellule familiale, contre les femmes du foyer. Pour autant, elle questionne plus les dégâts produit par la violence que la violence elle-même. Elle se place ainsi du côté des victimes et de l'après. L'autrice se garde bien de juger son héroïne qui est souvent assez antipathique. Comme ses proches, on doit parfois se forcer pour continuer à suivre Jeanne dans ses errements. Et si on le fait ce n'est que parce que l'on connaît ses souffrances qui expliquent son comportement. "Alors que maintenant je pourrais tourner la page, vivre sans la peur, ne plus sursauter à chaque bruit, chaque appel téléphonique, chaque éclat de voix, car il n’est plus là. Il est toujours là." Comment survivre à une enfance volée ? à la culpabilité ? Le pardon est-il possible ? Peut-on avoir une vie amoureuse, ou simplement des relations amicales normales, lorsqu'on n'a connu que la peur et les coups ? La violence se transmet-elle ? Peut-on s'affranchir du passé ? Autant de questions complexes auxquelles il n'y a pas de réponses toutes faites. Le roman n'en donne d'ailleurs pas. Chaque victime devra trouver sa voie. Sa préférée est un roman percutant et sans concessions. Il se lit d'une traite (180 pages seulement), comme en apnée. N'hésitez pas à vous plonger dedans, vous ne le regretterez pas ! Avos marque-pages, prêts, lisez !

  • Ça - Stephen King (1986)

    Depuis Carrie , son premier roman sorti en 1974, Stephen King ne cesse de nous surprendre par son imagination débordante. Son univers si particulier, qui mêle fantastique, horreur, science-fiction, polar et chronique de l’Amérique profonde, a ainsi fait le bonheur de plusieurs générations de lecteurs assidus (plus de 500 millions de livres écoulés dans le monde !). A mon sens, on peut parler de génie tant la profusion et la qualité de ses écrits est évidente. Les petits cercles littéraires élitistes argueront sans doute que son style est trop simple ou que le fantastique est un sous-genre qui ne mérite pas qu’on s’y arrête. Pour eux, ce qui est populaire ne peut être de qualité… Foutaises ! « Les romanciers, moi y compris, ne comprennent pas très bien ce qu’ils font, ni pourquoi ça marche quand c’est bon, ni pourquoi ça ne marche pas quand ça ne l’est pas. » King est bien plus que le maître de l’horreur ; il est un grand écrivain. Si le public le suit depuis toutes ces années, c’est qu’il y a bien une raison. Il y en a même plusieurs. Le style, évidemment, qui est accessible au plus grand nombre en est la première raison. Avec King, pas d’esbroufe, de mots pompeux ou d’envolées lyriques de supermarché. Tout est précis, honnête et très bien rythmé. Les thèmes sont universels : l’exclusion, le passage à l’âge adulte, le dépassement de soi face à l’adversité, la lutte du Bien contre le Mal, la peur et la violence… En véritable conteur, il s’adresse à tous, de l’adolescent à l’adulte. Il écrit comme il pense, n’hésitant pas, dans un souci de réalisme et d’efficacité, à utiliser un langage populaire voire grossier. Ce style permet de se glisser aisément dans ses histoires. On visualise en effet rapidement l’ambiance et les lieux (de petites villes rurales souvent situées dans le Maine où l’auteur a grandi et vit encore), ce qui crée une certaine proximité avec les héros et rend d’autant plus terribles les évènements fantastiques auxquels ils sont confrontés. Et puisqu’on n’a jamais aussi peur que pour les gens que l’on connaît, la proximité/identification est renforcée par une très bonne caractérisation des personnages. King prend ainsi le temps de décrire leur quotidien, leur entourage et aussi leurs traumas. Ce ne sont pas des héros au sens classique du terme. Ce sont même souvent des personnes perçues comme étant sans pouvoir et faibles (exclus, enfants, femmes). Sauf qu’il leur arrive à tous quelque chose qui crée un moment de bascule dans leur vie… Je vais m’arrêter là mais je voulais clamer mon amour pour Stephen King, un grand auteur malgré quelques faiblesses (mais qui n'en a pas?), pas assez reconnu par le monde littéraire selon moi. Venons-en maintenant à Ça , une des pièces maîtresses de l’auteur. Si comme moi, vous avez vu, enfant, le téléfilm dans les années 90 et été traumatisés par Grippe-Sou le clown (Pennywise en v.o,), vous n’avez probablement pas eu envie de lire le livre (idem pour ceux qui ont vu le film sorti il y a quelques années). Une fois ça suffit. Merci bien ! J’ai beaucoup lu King et pourtant j’avais, jusqu’à ce jour, soigneusement évité Ça . A l’approche d’Halloween, j’ai donc décidé de me pencher sur ce classique. Il faut se mettre dans l’ambiance ! Lorsque le livre est publié, en 1986, King a déjà eu de nombreux succès ( Carrie et Christine notamment). Il aimerait pouvoir sortir de cette image de roi de l’horreur qui lui colle à la peau et tourner la page. Il démarre en 1981 l’écriture du livre dans l’idée de montrer tout son savoir-faire narratif. C’est sans doute ce qui fait de Ça , une de ses œuvres les plus complexes. Son éditeur ne s’y est pas trompé puisque, pour la première fois dans l’histoire, Ça fait l’objet d’un tirage initial d’un million d’exemplaires. Cela laisse songeur… L’histoire de Ça , on la connaît tous. Tout commence avec un bateau en papier dans un caniveau et la mort effroyable d’un petit garçon de six ans, tué par un monstre vivant dans les égouts. "La terreur, qui n'allait cesser qu'au bout de vingt-huit ans (mais a-t-elle vraiment cessé ?), s'incarna pour la première fois, à ma connaissance dans un bateau en papier journal dévalant un caniveau gorgé d'eau de pluie." Sept enfants, qui s’autoproclament, le club des Ratés, luttent alors contre la force maléfique qui tue les enfants de la petite ville de Derry (Maine). Ce monstre, qui apparaît souvent sous la forme d’un clown du nom de Grippe-Sou, peut aussi se muer en votre pire cauchemar (une momie, un loup-garou, une araignée géante…) avant de vous tuer sauvagement et de se nourrir de vous. Les enfants parviennent à mettre Ça en déroute mais, 27 ans plus tard, une nouvelle vague de meurtres les oblige à revenir sur les lieux de leur enfance (et de leurs traumatismes) pour tenter d’arrêter le Mal une bonne fois pour toute. La narration va ainsi passer, de manière fluide, entre les évènements de 1957-58 et ceux de 1984-85, grâce à une astucieuse utilisation de la ponctuation et des polices de caractères. Il ne faut pas s’y tromper. Bien sûr, le climat instauré et plusieurs scènes font peur mais, au-delà de l’aspect horrifique du livre, le roman, écrit au début des années 80, est une formidable peinture de la société américaine. Le récit apparaît même en avance sur son temps grâce à la justesse de son approche de sujets difficiles comme les violences parentales et conjugales, la grossophobie, le deuil, le suicide, le racisme, l’inceste… Les portraits des enfants sont particulièrement bien fouillés et on découvre vite qu’ils ont tous subi des traumatismes. On fait ainsi la connaissance de Bill, dont le petit frère a été assassiné par Ça et qui est ignoré par des parents submergés par la tristesse, de Ben le gentil petit génie en surpoids qui n’a pas d’amis, d’Eddie dont la mère dominatrice l’empêche d’avoir une enfance normale en lui trouvant toutes les maladies de la terre, de Mike qui est victime de racisme, de Beverly qui est battue par son père qui la regarde différemment depuis que la puberté change son corps, de Richie qui est le rigolo/grande gueule de la bande et Stanley, le cartésien du groupe, qui est quant à lui sans cesse ramené à sa judéité. Leur amitié et leur foi enfantine en la magie seront leur force face au monstre en 1958. Qu’en sera-t-il vingt-sept ans après ? "Bons amis, mauvais amis, non. Rien que des personnes avec lesquelles on a envie de se trouver; des personnes qui bâtissent leur demeure dans votre coeur." Lorsque Grippe-Sou arrive dans la vie du petit clan, celle-ci est déjà remplie de dangers : danger venant d’adultes, qu’ils soient malveillants ou simplement absents, et danger venant d’une bande de gamins harceleurs absolument épouvantables (certains sont même des psychopathes avérés). Le grand méchant de l’histoire, Grippe-Sou, fait quant à lui de rares apparitions dans le récit, mais celles-ci sont suffisamment choquantes pour marquer durablement le lecteur comme avec cette phrase désormais culte : "Ils flottent, reprit le clown. En bas nous flottons tous [...] Viens flotter avec nous." Parmi les êtres malfaisants qui peuplent Derry, on se demande qui est le plus horrible entre les humains (notamment Henry et le père de Beverly) et l’être maléfique qui hante Derry. Le récit connaît évidemment quelques ratés : les « blagues » de Richie, très lourdes et inappropriées pour la plupart, une fin ratée (mais le voyage compte plus que la destination, n’est-ce pas ?) et deux scènes glauques à caractère sexuel qui suscitent la polémique (et on comprend pourquoi ! même l’auteur reconnaît qu’il ferait autrement aujourd’hui), mais on voit aussi clairement que l’auteur a surtout voulu montrer symboliquement par ce biais la fin de l’innocence (comme il le fait plus sobrement avec la bibliothèque dont les sections adulte et enfant sont deux bâtiments différents reliés par un couloir). Que cela ne vous arrête pas, il suffira de passer ces quelques pages si elles vous gênent et le reste en vaut la peine. Pour en finir (car j’ai déjà été trop longue et qu’il y aurait encore tant à dire), vous aurez compris que Ça est un roman-fleuve (près de 1500 pages aux éditions Le Livre de poche), ambitieux dans sa forme, qui traite magistralement du passage à l’âge adulte et mérite amplement qu’on lui garde une place dans notre bibliothèque. J’ai préféré d’autres livres comme Shining , Christine ou Misery mais celui-ci reste très bon malgré ses défauts. King est certainement un des auteurs ayant le mieux traité de l’enfance. Il est aussi un des meilleurs pour faire surgir l’extraordinaire dans l’ordinaire. Ces deux talents sont réunis dans Ça alors ne vous en privez pas et venez flotter avec moi !

  • Les éclats - Bret Easton Ellis (2023)

    Lire Bret Easton Ellis, c’est entrer dans un monde fait de violence, que celle-ci soit physique, morale sociale ou sexuelle. Alors autant prendre une bonne bouffée d’air frais avant de commencer à lire un de ses poisseux romans ! Publié en 2023 , les Éclats  sort treize ans après son dernier opus. On peut dire qu’il aura mis le temps, le bougre. Et ce livre est sans doute un des plus personnels qu’il ait écrit. En effet, durant les quelques 906 pages du roman (chez 10/18), Bret Easton Ellis se replonge dans sa jeunesse durant les années 80 et se joue du lecteur en mélangeant l’autobiographie et la fiction. Los Angeles, été 1981. Le narrateur/personnage principal, Bret Ellis, est un jeune lycéen de 17 ans et rédige son premier roman, Moins que zéro (que BEE publie en 1985). Les autres le voient comme un rêveur à l’imagination débordante (après tout, il est écrivain !). Lui, se positionne comme un observateur du petit cercle de privilégiés dans lequel il évolue. Je n'éprouvais aucun intérêt pour la réalité - et pourquoi m'aurait-elle intéressé ? Elle n'était pas construite pour moi, pour mes besoins, pour mes désirs. Bret et sa bande d’amis sont beaux, riches et vivent comme des adultes débauchés n’ayant de compte à rendre à personne : ils sortent toute la nuit, se droguent et picolent sans arrêt. Mais vont au lycée de Buckley et ont des devoirs à faire… On se croirait presque dans la série Berverly Hills tant leurs comportements sont en décalage avec l’âge des personnages. Il y a évidemment le couple star du lycée, Susan la sublime présidente des élèves, et Thom, le capitaine de l’équipe de football. Debbie, la petite amie ultra sexy de Bret, sert quant à elle à donner le change en société car Bret a un petit secret qu’il n’est pas encore prêt à assumer : il est gay. Il a ainsi des petits copains qu’il voit en cachette et avec qui il s’avère un peu (beaucoup !) collant. Les adultes, eux, sont étrangement absents, trop occupés par leur travail ou en voyage pendant des mois, laissant les jeunes aux bons soins de leurs bonnes. Lorsqu’ils sont présents, ils s’avèrent extrêmement toxiques tel le père de la petite amie de Bret, un prédateur sexuel de la pire espèce. Un beau jour, un nouveau lycéen, auréolé de mystères, arrive à Buckley. S’il intègre rapidement la bande, Bret, en retrait, ne l’apprécie pas du tout : il lui vole l’affection de ses amis, ment sur certains évènements et à des vues sur son amie Susan. Bret remarque que l’arrivée de Robert Mallory coïncide avec des meurtres atroces perpétrés par le Trawler, un tueur en série. Il découvre même qu’une des victimes du psychopathe était la petite amie de Robert. L’esprit imaginatif et embrumé par les drogues de Bret s’enflamme dès lors, confinant à la paranoïa. Il en est certain, Robert Mallory est un meurtrier manipulateur et il doit tout faire pour qu’il ne nuise pas à ses amis. Un écrivain entend toujours des choses qui ne sont pas présentes. Des personnages vont mourir, on le sait depuis le début, le narrateur nous a averti. Mais qui ? Comment et pourquoi ? Seule la fin nous laisse entrevoir l’identité du Trawleur. Sans réelle certitude toutefois. Une seconde lecture permettrait peut-être de découvrir des indices semés par l’auteur mais c’est sans doute aussi bien de rester dans le flou et plus inquiétant. Le roman n’est pas vraiment un polar même si Bret mène l’enquête pour identifier le tueur. Ce n’est pas très gore non plus malgré les crimes atroces qui sont perpétrés (précision utile pour les traumatisés d’ American psycho que cela pourrait inquiéter). Il s’agit plutôt du portrait d’une certaine jeunesse dorée, en proie à l’oisiveté, mais aussi et surtout d’une personnalité ambiguë et borderline, celle de Bret. Comment être soi tout en prétendant être quelqu’un d’autre ? C’est la grande interrogation du héros, qui vit de plus en plus mal le fait de cacher son homosexualité, mais aussi celle de l’auteur, qui a fait un coming-out tardif et dont ce livre semble être un exutoire, ainsi que, dans une certaine mesure, Robert Mallory, qui cacherait sa nature profonde de tueur sous des airs de parfait ami. Le livre développe les grandes obsessions de Bret, qui sont comme autant de moyens de se raccrocher à la réalité : la musique, le cinéma mais aussi et surtout le sexe, racontant avec une grande précisions ses séances de masturbation et ses ébats amoureux débridés. L’auteur s’amuse visiblement avec ce roman/jeu de miroir déformant. Au lecteur d’enquêter pour savoir ce qui est réellement arrivé à l’auteur et ce qu’il a inventé; à lui de déterminer ce qui arrive à Bret et ce qu’il fantasme. Que plaisir de se faire mener par le bout du nez de la sorte. C’est un vrai tour de force de tenir en haleine le lecteur avec un tel pavé. La tension monte jusqu’à l’apothéose finale, dénouement sanglant et complètement fou. On en ressort éreinté, plein de questions mais aussi et surtout heureux de s’être laissé manipuler par la psyché torturée du grand Bret Easton Ellis. Un chef d’œuvre, pour ne pas dire une tuerie. A lire de toute urgence.

  • Moi, Fadi le frère volé - Riad Sattouf (2024)

    Riad Sattouf évoque souvent sa volonté de « faire des BD pour les gens qui n’en lisent pas ». Il a visiblement réussi ce pari puisqu’il est devenu un véritable phénomène de librairie (3,5 millions d’exemplaires vendus de L’Arabe du futur , 2 millions pour les Cahiers d’Esther ) que seul l’inamovible Astérix arrive encore à surpasser. Si vous n’avez pas encore succombé, il est plus que temps de vous pencher sur l’œuvre du Grand Prix 2023 du festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Pour cette fin d’année, j’attendais avec impatience la suite de Le jeune acteur qui retrace les premiers pas dans le cinéma de son acteur principal des Beaux gosses (écrit et réalisé par R.S.), Vincent Lacoste. Raté ! Riad Sattouf revient bien mais avec le premier de trois tomes racontant l’histoire familiale, toujours à hauteur d’enfant, mais cette fois-ci du point de vue de Fadi, le plus jeune de la fratrie, enlevé par son père et conduit en Syrie. Cette série de livres a mis du temps à voir le jour. L’auteur nous a livré dans un premier temps sa vision de l’histoire familiale, l’Arabe du futur (6 tomes), avant de pouvoir nous offrir l’histoire manquante, celle de Fadi, reconstruite à partir d’entretiens réalisés en 2011 et 2012 avec son frère. "C'était un défi. L'histoire de mon frère est quelque chose d'inracontable, d'irracontable", Riad Sattouf Loin d’être une redite de l’Arabe du futur, ce premier tome de Moi, Fadi… (éditions Les Livres du futur) nous offre un nouveau volet de l’histoire familiale. L’histoire débute en Bretagne où Clémentine, la mère, coule des jours heureux avec ses trois fils. Elle s’est séparée de son mari. La précarité de la vie au Moyen-Orient, les mensonges et la radicalisation du père ont eu raison du couple. Dans le souvenir de Fadi, cette période semble être une parenthèse enchantée où tout n’est que douceur et amour entre sa mère et lui. Même s’il les admire, Riad et Yahya, ses grands frères, passent quant à eux leur temps à l’ignorer ou à lui faire de mauvaises blagues. Fadi voit un jour son père revenir à la maison. Visiblement personne ne s’y attendait. Si Clémentine a clairement tourné la page et demande le divorce, elle l’accepte malgré tout chez elle. Pour les enfants. Après une énième dispute, comprenant que sa famille ne le suivra pas, le père emmène Fadi, quatre ans, loin des siens. En Syrie. Les retrouvailles n’auront lieu que vingt ans plus tard… Là où l’Arabe du futur racontait cet évènement traumatisant en évoquant la tristesse de la mère, le désarroi des grands-parents et les démarches administratives, l’histoire racontée dans Moi, Fadi… est celle du déracinement d’un très jeune enfant, arraché aux bras aimants de sa mère par un père menteur et manipulateur. Fadi passe ses premières journées à pleurer et à réclamer sa mère. Il est tout d’abord effrayé par la famille qu’il y découvre ; ce sont tous des inconnus parlant une langue qu’il ne comprend pas. Sa chambre est peuplée de monstres la nuit venue. On voit que l’enfant s’acclimate petit à petit à son nouvel environnement et on ne doute pas qu’il arrivera à s’intégrer mais il faut avouer que ce premier tome est particulièrement déchirant et retranscrit bien la peur de ce petit garçon. La figure du père, qui n’était déjà pas particulièrement reluisante, devient plus inquiétante encore que dans l’Arabe du futur . S’il kidnappe son fils, ce n’est pas par amour pour lui mais pour forcer le reste de sa famille à le rejoindre en Syrie, pays dont son épouse ne veut plus entendre parler après une première expérience éprouvante. Peu intéressé par le bien être de son fils, il lui fait des cadeaux (dont une game boy, probablement payée avec de l’argent volé, qui sera vite utilisée comme bakchich), mais c’est avant tout pour faire taire les pleurs de l’enfant qui l'horripile. Transparaît aussi l’inquiétante radicalisation religieuse et politique du père qui ne manque jamais d’exprimer son admiration pour le leader du régime autoritaire syrien : "Regarde ce bel homme fier! C'y le Syrien li plis intelligent di monde ! Hafez Al-Assad ! Li prisident ! Ti crois qu'il pleurniche pour sa maman lui ? C'y un homme il pleure pas !" On a entendu mieux comme discours pour soulager la peine d’un enfant ! Comme toujours avec Riad Sattouf, la rudesse du propos est contrebalancée par la douceur des dessins et l'humour. Le trait de crayon est simple, reconnaissable entre mille, mais diablement efficace et expressif. Le récit permet, avec des mots simples d’enfant, sous couvert de naïveté, de mettre en exergue les contradictions et l’hypocrisie des adultes. L’utilisation des couleurs sert quant à elle à accentuer les sentiments de Fadi. Le début du récit est marqué par un jaune lumineux, enveloppant et joyeux (à l'image de la chevelure blonde de la mère ?). Il laisse place à un orange lourd à l’arrivée en Syrie et se mue en vert pour traduire le mal-être de Fadi. A l’issue d’une séquence onirique durant laquelle le jeune Fadi cherche des œufs de Pâques et se perd, il dit : « Je suis perdu pour toujours. Alors je marche encore… » Lorsqu’on referme la BD, on espère que Fadi a retrouvé le chemin de la maison et cessé d’errer entre deux cultures. Seuls les prochains tomes pourront nous le dire. On a hâte !

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