Les éclats - Bret Easton Ellis (2023)
- 25 oct. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 nov. 2024

Lire Bret Easton Ellis, c’est entrer dans un monde fait de violence, que celle-ci soit physique, morale sociale ou sexuelle. Alors autant prendre une bonne bouffée d’air frais avant de commencer à lire un de ses poisseux romans !
Publié en 2023, les Éclats sort treize ans après son dernier opus. On peut dire qu’il aura mis le temps, le bougre. Et ce livre est sans doute un des plus personnels qu’il ait écrit. En effet, durant les quelques 906 pages du roman (chez 10/18), Bret Easton Ellis se replonge dans sa jeunesse durant les années 80 et se joue du lecteur en mélangeant l’autobiographie et la fiction.
Los Angeles, été 1981. Le narrateur/personnage principal, Bret Ellis, est un jeune lycéen de 17 ans et rédige son premier roman, Moins que zéro (que BEE publie en 1985). Les autres le voient comme un rêveur à l’imagination débordante (après tout, il est écrivain !). Lui, se positionne comme un observateur du petit cercle de privilégiés dans lequel il évolue.
Je n'éprouvais aucun intérêt pour la réalité - et pourquoi m'aurait-elle intéressé ? Elle n'était pas construite pour moi, pour mes besoins, pour mes désirs.
Bret et sa bande d’amis sont beaux, riches et vivent comme des adultes débauchés n’ayant de compte à rendre à personne : ils sortent toute la nuit, se droguent et picolent sans arrêt. Mais vont au lycée de Buckley et ont des devoirs à faire… On se croirait presque dans la série Berverly Hills tant leurs comportements sont en décalage avec l’âge des personnages.
Il y a évidemment le couple star du lycée, Susan la sublime présidente des élèves, et Thom, le capitaine de l’équipe de football. Debbie, la petite amie ultra sexy de Bret, sert quant à elle à donner le change en société car Bret a un petit secret qu’il n’est pas encore prêt à assumer : il est gay. Il a ainsi des petits copains qu’il voit en cachette et avec qui il s’avère un peu (beaucoup !) collant.
Les adultes, eux, sont étrangement absents, trop occupés par leur travail ou en voyage pendant des mois, laissant les jeunes aux bons soins de leurs bonnes. Lorsqu’ils sont présents, ils s’avèrent extrêmement toxiques tel le père de la petite amie de Bret, un prédateur sexuel de la pire espèce.
Un beau jour, un nouveau lycéen, auréolé de mystères, arrive à Buckley. S’il intègre rapidement la bande, Bret, en retrait, ne l’apprécie pas du tout : il lui vole l’affection de ses amis, ment sur certains évènements et à des vues sur son amie Susan. Bret remarque que l’arrivée de Robert Mallory coïncide avec des meurtres atroces perpétrés par le Trawler, un tueur en série. Il découvre même qu’une des victimes du psychopathe était la petite amie de Robert. L’esprit imaginatif et embrumé par les drogues de Bret s’enflamme dès lors, confinant à la paranoïa. Il en est certain, Robert Mallory est un meurtrier manipulateur et il doit tout faire pour qu’il ne nuise pas à ses amis.
Un écrivain entend toujours des choses qui ne sont pas présentes.
Des personnages vont mourir, on le sait depuis le début, le narrateur nous a averti. Mais qui ? Comment et pourquoi ? Seule la fin nous laisse entrevoir l’identité du Trawleur. Sans réelle certitude toutefois. Une seconde lecture permettrait peut-être de découvrir des indices semés par l’auteur mais c’est sans doute aussi bien de rester dans le flou et plus inquiétant.
Le roman n’est pas vraiment un polar même si Bret mène l’enquête pour identifier le tueur. Ce n’est pas très gore non plus malgré les crimes atroces qui sont perpétrés (précision utile pour les traumatisés d’American psycho que cela pourrait inquiéter). Il s’agit plutôt du portrait d’une certaine jeunesse dorée, en proie à l’oisiveté, mais aussi et surtout d’une personnalité ambiguë et borderline, celle de Bret. Comment être soi tout en prétendant être quelqu’un d’autre ? C’est la grande interrogation du héros, qui vit de plus en plus mal le fait de cacher son homosexualité, mais aussi celle de l’auteur, qui a fait un coming-out tardif et dont ce livre semble être un exutoire, ainsi que, dans une certaine mesure, Robert Mallory, qui cacherait sa nature profonde de tueur sous des airs de parfait ami.
Le livre développe les grandes obsessions de Bret, qui sont comme autant de moyens de se raccrocher à la réalité : la musique, le cinéma mais aussi et surtout le sexe, racontant avec une grande précisions ses séances de masturbation et ses ébats amoureux débridés.
L’auteur s’amuse visiblement avec ce roman/jeu de miroir déformant. Au lecteur d’enquêter pour savoir ce qui est réellement arrivé à l’auteur et ce qu’il a inventé; à lui de déterminer ce qui arrive à Bret et ce qu’il fantasme. Que plaisir de se faire mener par le bout du nez de la sorte.
C’est un vrai tour de force de tenir en haleine le lecteur avec un tel pavé. La tension monte jusqu’à l’apothéose finale, dénouement sanglant et complètement fou. On en ressort éreinté, plein de questions mais aussi et surtout heureux de s’être laissé manipuler par la psyché torturée du grand Bret Easton Ellis. Un chef d’œuvre, pour ne pas dire une tuerie. A lire de toute urgence.
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