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Ça - Stephen King (1986)

  • 22 nov. 2024
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 déc. 2024

Ca de stephen King, tomes 1 et 2 (Livres de poche)
1500 pages c'est quand même un peu long !

Depuis Carrie, son premier roman sorti en 1974, Stephen King ne cesse de nous surprendre par son imagination débordante. Son univers si particulier, qui mêle fantastique, horreur, science-fiction, polar et chronique de l’Amérique profonde, a ainsi fait le bonheur de plusieurs générations de lecteurs assidus (plus de 500 millions de livres écoulés dans le monde !).

A mon sens, on peut parler de génie tant la profusion et la qualité de ses écrits est évidente. Les petits cercles littéraires élitistes argueront sans doute que son style est trop simple ou que le fantastique est un sous-genre qui ne mérite pas qu’on s’y arrête. Pour eux, ce qui est populaire ne peut être de qualité… Foutaises !

« Les romanciers, moi y compris, ne comprennent pas très bien ce qu’ils font, ni pourquoi ça marche quand c’est bon, ni pourquoi ça ne marche pas quand ça ne l’est pas. »

King est bien plus que le maître de l’horreur ; il est un grand écrivain. Si le public le suit depuis toutes ces années, c’est qu’il y a bien une raison. Il y en a même plusieurs.

Le style, évidemment, qui est accessible au plus grand nombre en est la première raison. Avec King, pas d’esbroufe, de mots pompeux ou d’envolées lyriques de supermarché. Tout est précis, honnête et très bien rythmé. Les thèmes sont universels : l’exclusion, le passage à l’âge adulte, le dépassement de soi face à l’adversité, la lutte du Bien contre le Mal, la peur et la violence… En véritable conteur, il s’adresse à tous, de l’adolescent à l’adulte. Il écrit comme il pense, n’hésitant pas, dans un souci de réalisme et d’efficacité, à utiliser un langage populaire voire grossier.

Ce style permet de se glisser aisément dans ses histoires. On visualise en effet rapidement l’ambiance et les lieux (de petites villes rurales souvent situées dans le Maine où l’auteur a grandi et vit encore), ce qui crée une certaine proximité avec les héros et rend d’autant plus terribles les évènements fantastiques auxquels ils sont confrontés.

Et puisqu’on n’a jamais aussi peur que pour les gens que l’on connaît, la proximité/identification est renforcée par une très bonne caractérisation des personnages. King prend ainsi le temps de décrire leur quotidien, leur entourage et aussi leurs traumas. Ce ne sont pas des héros au sens classique du terme. Ce sont même souvent des personnes perçues comme étant sans pouvoir et faibles (exclus, enfants, femmes). Sauf qu’il leur arrive à tous quelque chose qui crée un moment de bascule dans leur vie…

Je vais m’arrêter là mais je voulais clamer mon amour pour Stephen King, un grand auteur malgré quelques faiblesses (mais qui n'en a pas?), pas assez reconnu par le monde littéraire selon moi.

Venons-en maintenant à Ça, une des pièces maîtresses de l’auteur. Si comme moi, vous avez vu, enfant, le téléfilm dans les années 90 et été traumatisés par Grippe-Sou le clown (Pennywise en v.o,), vous n’avez probablement pas eu envie de lire le livre (idem pour ceux qui ont vu le film sorti il y a quelques années). Une fois ça suffit. Merci bien !

J’ai beaucoup lu King et pourtant j’avais, jusqu’à ce jour, soigneusement évité Ça. A l’approche d’Halloween, j’ai donc décidé de me pencher sur ce classique. Il faut se mettre dans l’ambiance !

Lorsque le livre est publié, en 1986, King a déjà eu de nombreux succès (Carrie et Christine notamment). Il aimerait pouvoir sortir de cette image de roi de l’horreur qui lui colle à la peau et tourner la page. Il démarre en 1981 l’écriture du livre dans l’idée de montrer tout son savoir-faire narratif. C’est sans doute ce qui fait de Ça, une de ses œuvres les plus complexes. Son éditeur ne s’y est pas trompé puisque, pour la première fois dans l’histoire, Ça fait l’objet d’un tirage initial d’un million d’exemplaires. Cela laisse songeur…

L’histoire de Ça, on la connaît tous. Tout commence avec un bateau en papier dans un caniveau et la mort effroyable d’un petit garçon de six ans, tué par un monstre vivant dans les égouts.

"La terreur, qui n'allait cesser qu'au bout de vingt-huit ans (mais a-t-elle vraiment cessé ?), s'incarna pour la première fois, à ma connaissance dans un bateau en papier journal dévalant un caniveau gorgé d'eau de pluie."

Sept enfants, qui s’autoproclament, le club des Ratés, luttent alors contre la force maléfique qui tue les enfants de la petite ville de Derry (Maine). Ce monstre, qui apparaît souvent sous la forme d’un clown du nom de Grippe-Sou, peut aussi se muer en votre pire cauchemar (une momie, un loup-garou, une araignée géante…) avant de vous tuer sauvagement et de se nourrir de vous. Les enfants parviennent à mettre Ça en déroute mais, 27 ans plus tard, une nouvelle vague de meurtres les oblige à revenir sur les lieux de leur enfance (et de leurs traumatismes) pour tenter d’arrêter le Mal une bonne fois pour toute. La narration va ainsi passer, de manière fluide, entre les évènements de 1957-58 et ceux de 1984-85, grâce à une astucieuse utilisation de la ponctuation et des polices de caractères.

Il ne faut pas s’y tromper. Bien sûr, le climat instauré et plusieurs scènes font peur mais, au-delà de l’aspect horrifique du livre, le roman, écrit au début des années 80, est une formidable peinture de la société américaine. Le récit apparaît même en avance sur son temps grâce à la justesse de son approche de sujets difficiles comme les violences parentales et conjugales, la grossophobie, le deuil, le suicide, le racisme, l’inceste… Les portraits des enfants sont particulièrement bien fouillés et on découvre vite qu’ils ont tous subi des traumatismes. On fait ainsi la connaissance de Bill, dont le petit frère a été assassiné par Ça et qui est ignoré par des parents submergés par la tristesse, de Ben le gentil petit génie en surpoids qui n’a pas d’amis, d’Eddie dont la mère dominatrice l’empêche d’avoir une enfance normale en lui trouvant toutes les maladies de la terre, de Mike qui est victime de racisme, de Beverly qui est battue par son père qui la regarde différemment depuis que la puberté change son corps, de Richie qui est le rigolo/grande gueule de la bande et Stanley, le cartésien du groupe, qui est quant à lui sans cesse ramené à sa judéité. Leur amitié et leur foi enfantine en la magie seront leur force face au monstre en 1958. Qu’en sera-t-il vingt-sept ans après ?

"Bons amis, mauvais amis, non. Rien que des personnes avec lesquelles on a envie de se trouver; des personnes qui bâtissent leur demeure dans votre coeur."

Lorsque Grippe-Sou arrive dans la vie du petit clan, celle-ci est déjà remplie de dangers : danger venant d’adultes, qu’ils soient malveillants ou simplement absents, et danger venant d’une bande de gamins harceleurs absolument épouvantables (certains sont même des psychopathes avérés). Le grand méchant de l’histoire, Grippe-Sou, fait quant à lui de rares apparitions dans le récit, mais celles-ci sont suffisamment choquantes pour marquer durablement le lecteur comme avec cette phrase désormais culte :

"Ils flottent, reprit le clown. En bas nous flottons tous [...] Viens flotter avec nous."

Parmi les êtres malfaisants qui peuplent Derry, on se demande qui est le plus horrible entre les humains (notamment Henry et le père de Beverly) et l’être maléfique qui hante Derry.

Le récit connaît évidemment quelques ratés : les « blagues » de Richie, très lourdes et inappropriées pour la plupart, une fin ratée (mais le voyage compte plus que la destination, n’est-ce pas ?) et deux scènes glauques à caractère sexuel qui suscitent la polémique (et on comprend pourquoi ! même l’auteur reconnaît qu’il ferait autrement aujourd’hui), mais on voit aussi clairement que l’auteur a surtout voulu montrer symboliquement par ce biais la fin de l’innocence (comme il le fait plus sobrement avec la bibliothèque dont les sections adulte et enfant sont deux bâtiments différents reliés par un couloir). Que cela ne vous arrête pas, il suffira de passer ces quelques pages si elles vous gênent et le reste en vaut la peine.

Pour en finir (car j’ai déjà été trop longue et qu’il y aurait encore tant à dire), vous aurez compris que Ça est un roman-fleuve (près de 1500 pages aux éditions Le Livre de poche), ambitieux dans sa forme, qui traite magistralement du passage à l’âge adulte et mérite amplement qu’on lui garde une place dans notre bibliothèque. J’ai préféré d’autres livres comme Shining, Christine ou Misery mais celui-ci reste très bon malgré ses défauts.

King est certainement un des auteurs ayant le mieux traité de l’enfance. Il est aussi un des meilleurs pour faire surgir l’extraordinaire dans l’ordinaire. Ces deux talents sont réunis dans Ça alors ne vous en privez pas et venez flotter avec moi !

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